De la pratique sociale au rituel politique
La dérision n’est pas la plaisanterie inoffensive qui fait sourire, ni l’humour qui habille délicatement la fausse modestie. Dans les sociétés médiévales, où l’individu n’existait guère que dans le regard des autres, elle était une arme, simple mais redoutablement efficace. Sans autres moyens que les mots et les gestes, quelquefois les images, elle permettait de démoraliser l’ennemi, de disqualifier le rival, d’abolir l’honneur et jusqu’à l’humanité du vaincu ou du condamné. Volontiers grossière ou sanglante, elle n’en reposait pas moins sur des codes sociaux connus de tous – bourreaux, victimes et spectateurs –, et son déroulement s’apparentait souvent à un véritable rituel politique ou judiciaire. À la fin du Moyen Âge, cependant, l’acharnement impitoyable de la moquerie le cède parfois à la compassion pour l’homme souffrant ou la réconciliation offerte à l’adversaire humilié. Les usages sociaux et politiques de la dérision sont comme un miroir, souvent cruel, parfois émouvant, dans lequel le Moyen Âge occidental laisse affleurer quelques-uns des ressorts profonds de ses sensibilités collectives.